Un projet de loi de simplification économique qui complexifie la logistique

Le Parlement examine actuellement le projet de loi pour la simplification de la vie économique. Paradoxalement, une série d’amendements logistiques adoptés en 2025 dans ce texte suscite de vives réactions. Ces amendements, insérés en commission spéciale de l’Assemblée nationale fin mai, visent à renforcer la régulation de la logistique et du e-commerce – alors même que l’objectif affiché du projet de loi est de « d’alléger la charge administrative qui pèse sur les entreprises » et de faciliter les projets industriels. Autrement dit, des mesures censées simplifier la vie des entreprises risquent d’introduire de nouvelles contraintes pour le secteur logistique.

Les grandes fédérations professionnelles de la logistique et du commerce (Union TLF, France Logistique, Afilog, AUTF, CGF, FCD, Fevad, etc.) ont réagi unanimement. Dans un courrier adressé au gouvernement, elles tirent la sonnette d’alarme sur l’impact de ces amendements logistiques 2025. Selon elles, ces dispositions introduisent « une nouvelle procédure d’autorisation, complexifiant les modalités d’implantations de [la] filière ». En clair, loin de simplifier, le projet de loi alourdirait les démarches pour créer ou étendre des entrepôts et infrastructures logistiques en France.

Des amendements ciblant les entrepôts : l’autorisation d’exploitation commerciale étendue

Le point focal de l’inquiétude concerne un amendement prévoyant d’étendre l’autorisation d’exploitation commerciale (AEC) – habituellement requise pour les grands magasins – aux entrepôts logistiques liés au e-commerce. Concrètement, il est envisagé que toute création ou extension d’un entrepôt de plus de 800 m² dédié à l’e-commerce (livrant des biens commandés en ligne aux consommateurs) soit soumise à une AEC délivrée par la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). Jusqu’à présent, les entrepôts étaient considérés comme des installations industrielles ou logistiques, hors du champ de l’urbanisme commercial. Ils n’avaient pas à obtenir d’AEC, contrairement aux centres commerciaux ou supermarchés.

Un entrepôt logistique de préparation de commandes e-commerce. Désormais, une autorisation d’exploitation commerciale pourrait être exigée pour ce type d’installation au-delà de 800 m², ajoutant une démarche administrative lourde pour les opérateurs.

Cette disposition majeure s’accompagne d’autres changements: le seuil de surface commerciale nécessitant une AEC serait abaissé de 1000 m² à 400 m² pour les commerces de détail classiques. De plus, certains projets de magasins franchisés ou de restauration pourraient être soumis à autorisation dès 200 m² s’ils appartiennent à des chaînes nationales. L’ensemble forme une réforme significative du droit de l’aménagement commercial. Cependant, c’est bien l’extension aux entrepôts logistiques du e-commerce – dès 800 m², un seuil très bas – qui provoque la plus forte opposition de la part des professionnels du transport et de la logistique.

Pourquoi ces amendements ? Le motif avancé par leurs auteurs (des députés) est de lutter contre la “concurrence déloyale” du e-commerce vis-à-vis du commerce de proximité. Actuellement, argumentent-ils, les petits commerces paient des taxes (telle que la TaSCom sur les surfaces commerciales) et subissent la concurrence des ventes en ligne, tandis que les entrepôts de commerce en ligne échappent aux régulations d’aménagement commercial. En soumettant ces entrepôts à autorisation, les pouvoirs publics entendent freiner la prolifération des grandes plateformes e-commerce et, indirectement, protéger les commerces physiques dans nos territoires. L’intention peut sembler louable du point de vue de l’équité concurrentielle et de la revitalisation des centres-villes. Néanmoins, les professionnels du secteur logistique s’inquiètent des conséquences concrètes d’une telle mesure sur la compétitivité de la chaîne d’approvisionnement.

L’inquiétude unanime des fédérations professionnelles de la logistique

Face à ces propositions, l’ensemble des grandes fédérations professionnelles de la logistique en France monte au créneau. L’Union TLF (Transport et Logistique de France), France Logistique, l’Afilog (immobilier logistique), l’AUTF (utilisateurs de fret), la CGF (grossistes), la FCD (commerce et distribution), la Fevad (e-commerce) ou encore le Conseil du Commerce de France – pour ne citer qu’eux – ont uni leurs voix. Dans une lettre commune adressée fin mai 2025 à plusieurs ministres (Économie, Commerce, Simplification, Transports), elles expriment leurs vives inquiétudes.

Le message est sans équivoque : ces amendements risquent de porter « une atteinte inédite à la compétitivité et à la performance de la chaîne logistique française », allant à contre-courant des priorités du gouvernement en matière de soutien aux entreprises et de réindustrialisation. Les fédérations rappellent que le projet de loi initial visait à simplifier la vie économique, et déplorent que « ces dispositions viennent au contraire soumettre le secteur à une nouvelle procédure d’autorisation, complexifiant les modalités d’implantations de notre filière ». Autrement dit, une mesure pensée pour réguler le e-commerce aurait des effets néfastes sur toute la filière logistique, en introduisant des retards et des incertitudes dans les projets d’entrepôts.

Plusieurs dirigeants de ces organisations ont signé le courrier, dont Jean-Thomas Schmitt (Union TLF), Anne-Marie Idrac (France Logistique) et Claude Samson (Afilog). Une telle union sacrée entre logisticiens, transporteurs, distributeurs et e-commerçants est rare. Elle témoigne de la gravité perçue de la situation. Ces acteurs soulignent le rôle crucial de la logistique pour l’économie française : imposer de nouvelles entraves administratives revient, selon eux, à fragiliser l’ensemble des secteurs industriels et commerciaux qui dépendent d’une supply chain efficace.

Les fédérations professionnelles demandent donc au gouvernement de revoir sa copie. Elles plaident pour la suppression pure et simple de l’amendement en question – ce qu’ont d’ailleurs proposé certains parlementaires via des amendements de suppression. Le débat est désormais politiquement posé : équilibre-t-on vraiment la concurrence en ajoutant des contraintes aux entrepôts français, ou risque-t-on plutôt de pénaliser nos entreprises nationales sans aider pour autant les petits commerces ?

Quels risques pour la compétitivité de la logistique française ?

Du point de vue des entreprises de transport et logistique, l’extension de l’autorisation d’exploitation commerciale aux entrepôts comporte plusieurs risques majeurs pour la compétitivité :

  • Ralentissement des projets : L’obligation d’obtenir une AEC auprès d’une commission (CDAC) allonge les délais d’implantation. Monter un dossier, passer en commission départementale – composée d’élus locaux, de représentants de l’État et de commerçants – peut prendre plusieurs mois, avec un risque de refus à la clé. Un projet d’entrepôt e-commerce >800 m², qui hier n’exigeait qu’un permis de construire classique, devra demain franchir une étape supplémentaire incertaine. De quoi décourager ou retarder bon nombre d’investissements logistiques sur le territoire.
  • Distorsion de concurrence internationale : Ce point préoccupe particulièrement les fédérations. Beaucoup de plateformes e-commerce internationales (par exemple en Asie) livrent les consommateurs français sans entrepôt en France – via des expéditions directes ou des hubs à l’étranger. Ces acteurs ne seraient pas soumis à la nouvelle contrainte, contrairement aux entreprises ayant des entrepôts sur le sol français. « Cette nouvelle procédure aura pour conséquence d’accroître les distorsions de concurrence avec les plateformes internationales, notamment en provenance d’Asie », alerte ainsi l’Alliance du Commerce. En d’autres termes, un e-commerçant français qui investit localement serait davantage pénalisé qu’un concurrent étranger expédiant depuis l’extérieur – un comble en termes de compétitivité et de souveraineté logistique.
  • Pénalisation des PME locales : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas uniquement les géants du e-commerce qui seraient affectés. Le seuil de 800 m² est relativement bas : de nombreuses PME et ETI disposant d’un entrepôt pour leur activité en ligne dépassent facilement cette surface. Par exemple, une PME de la région Rhône-Alpes qui souhaiterait étendre son entrepôt de 600 à 1 200 m² pour absorber la croissance de ses ventes en ligne devrait passer devant la CDAC. Or, monter un dossier AEC (études d’impact, argumentaires sur l’effet local, etc.) est lourd pour une petite structure qui ne possède pas de service juridique dédié. Il y a un risque réel que les petites et moyennes entreprises renoncent à des projets d’agrandissement ou d’ouverture de sites logistiques face à ces tracasseries administratives, manquant ainsi des opportunités de croissance.
  • Impact régional en Rhône-Alpes et ailleurs : La région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), en particulier, illustre l’importance de ces enjeux. AURA est un hub stratégique de la logistique en France – première région industrielle et troisième région logistique du pays. Grâce à sa localisation au carrefour des flux nord-sud européens, aux portes de l’Italie et de l’Allemagne, elle attire de nombreux entrepôts et centres de distribution. Si les investisseurs logistiques se heurtent à plus de contraintes en France qu’ailleurs, ils pourraient rediriger leurs projets vers d’autres territoires plus accueillants (par exemple en Espagne, en Italie ou en Europe de l’Est). À terme, la compétitivité de la place logistique rhônalpine – et française – serait amoindrie. Moins d’entrepôts, c’est aussi moins de retombées économiques locales (emplois, activités de transport associées) dans des zones qui en ont souvent fait un levier de développement. On voit donc poindre le risque d’un décalage entre les régions frontalières dynamiques en logistique et une France qui dissuaderait ces installations.

En somme, là où l’intention initiale était de protéger le commerce de proximité, le risque collatéral est de fragiliser toute une filière qui représente des centaines de milliers d’emplois et un maillon essentiel de l’économie. La supply chain française a montré son importance lors des récentes crises (Covid, ruptures d’approvisionnement) : sa performance conditionne la capacité de nos entreprises à servir leurs clients efficacement. Toute mesure ralentissant ou complexifiant l’extension de cette supply chain pourrait se traduire par un handicap compétitif dans un contexte européen et mondial très concurrentiel.

Objectifs du gouvernement vs conséquences pratiques : le grand écart

Il est instructif de comparer les objectifs affichés du gouvernement avec les conséquences redoutées de ces amendements. Officiellement, le projet de loi de simplification économique vise à réduire la paperasserie et à accélérer les projets d’investissements. La majorité gouvernementale souhaite soutenir la réindustrialisation du pays et la relocalisation d’activités, ce qui passe par un tissu logistique performant. Faciliter la vie des PME fait partie des priorités, tout comme la revitalisation des centres-villes (d’où certaines mesures pour combler les cellules commerciales vides plus rapidement).

Dans cette logique, le gouvernement avait introduit des dispositions pour assouplir certaines règles d’urbanisme commercial – par exemple en limitant les recours possibles contre les décisions d’autorisation, ou en permettant la réouverture de magasins fermés sans nouvelle AEC afin de lutter contre la vacance commerciale. On comprend donc la surprise de nombreux observateurs en voyant surgir des amendements qui, au contraire, durcissent les conditions d’implantation pour les entrepôts logistiques et abaissent les seuils de surface pour les commerces. Ces initiatives ne venaient pas à l’origine du gouvernement, mais d’un groupe de députés lors des débats parlementaires. Néanmoins, elles ont été adoptées en commission, obligeant le gouvernement à en débattre.

Le décalage entre l’intention et la pratique est pointé du doigt par les professionnels. « À contre-courant des priorités du Gouvernement », disent-ils de ces mesures. En effet, comment concilier simplification et ajout d’une autorisation supplémentaire ? Comment soutenir la compétitivité logistique tout en freinant l’essor des entrepôts, maillons indispensables de la chaîne de distribution moderne ? Même du point de vue de la revitalisation du commerce de proximité, l’efficacité de la mesure interroge. Certes, freiner le e-commerce pourrait, en théorie, ralentir l’érosion des ventes des petits commerces. Mais dans les faits, les consommateurs ne reviendront pas nécessairement vers les boutiques physiques si un entrepôt est bloqué : ils pourraient simplement être livrés depuis l’étranger ou patienter un peu plus longtemps. Pendant ce temps, c’est l’économie française qui perd en agilité.

Il ne s’agit pas de nier la nécessité de trouver un équilibre entre e-commerce et commerce physique. La question de la fiscalité équitable (TaSCom, etc.) et de l’aménagement du territoire mérite d’être posée. Toutefois, faire peser cet équilibre sur la logistique sans accompagnement global pourrait engendrer plus de problèmes qu’il n’en résout. Le gouvernement devra donc arbitrer entre l’objectif louable de protection du commerce local et le risque de pénaliser l’ensemble de l’écosystème économique en ajoutant des freins administratifs. À l’heure où la France veut attirer des investissements et renforcer sa souveraineté économique, la logistique française ne peut se permettre de décrocher par rapport à ses voisins.

Quelles démarches pour les entreprises face à ces évolutions ?

Pour les dirigeants de TPE, PME et ETI du secteur transport-logistique (ou les entreprises industrielles/commerciales disposant d’entrepôts), ces changements législatifs potentiels appellent à la vigilance et à l’anticipation. Voici quelques implications pratiques et conseils :

  • Surveillez l’actualité réglementaire : Le processus législatif n’est pas terminé. Ces amendements peuvent encore être modifiés ou supprimés lors des débats parlementaires en séance plénière ou au Sénat. Il est crucial de rester informé de l’issue définitive du texte. Abonnez-vous aux newsletters professionnelles ou aux communiqués des fédérations (TLF, Afilog, etc.) pour connaître la version finale de la loi.
  • Anticipez les nouvelles obligations : Si l’obligation d’AEC pour les entrepôts logistiques >800 m² est confirmée, intégrez-la dès maintenant dans vos plans. Tout projet d’agrandissement ou de nouvelle plateforme logistique devra prévoir un délai supplémentaire pour obtenir cette autorisation. Par exemple, si vous envisagiez d’ouvrir un entrepôt de 1 500 m² en 2025-2026, prévoyez d’engager la procédure CDAC bien en amont pour ne pas retarder votre calendrier. Dans certains cas, il pourrait être opportun d’accélérer des projets avant l’entrée en vigueur de la loi – les projets ayant déjà un permis de construire accordé avant cette date devraient échapper à l’obligation d’AEC nouvelle.
  • Préparez des dossiers solides : Obtenir une autorisation d’exploitation commerciale implique de démontrer que votre projet s’insère correctement dans son environnement économique et territorial. Il faut souvent mettre en avant les emplois créés, l’absence d’impact négatif sur les commerces de proximité, les mesures d’intégration (environnement, circulation…) prises. Les dirigeants de PME/ETI devront peut-être se faire accompagner pour monter ces dossiers techniques. Un expert en logistique et en immobilier comme Vectalog Consulting peut vous aider à réaliser un diagnostic stratégique de votre projet, évaluer ses impacts et formuler les arguments à mettre en avant devant la commission.
  • Revisitez votre stratégie logistique : Ces évolutions réglementaires sont l’occasion de repenser certaines décisions. Par exemple, plutôt qu’un très grand entrepôt unique, une entreprise pourrait envisager plusieurs sites plus petits (en dessous du seuil) répartis sur le territoire pour contourner en partie la contrainte – tout en restant efficiente grâce à une bonne organisation de la supply chain. De même, investir dans l’optimisation des entrepôts existants (automatisation, stockage en hauteur) pourrait permettre de gérer plus de volume sans nécessairement agrandir la surface au sol au-delà de 800 m². Chaque solution a ses avantages et limites, d’où l’importance d’une approche personnalisée.

En synthèse, les chefs d’entreprise du secteur doivent faire preuve d’agilité. La réglementation peut ajouter des obstacles, mais avec une bonne préparation et les bons partenaires, il est possible de s’adapter. Il est recommandé de consulter des spécialistes en transport et logistique pour évaluer l’impact de ces nouvelles règles sur votre activité et identifier les meilleures options pour y faire face.

Pour aller plus loin : se faire accompagner dans la transition

Même si le paysage réglementaire peut sembler contraignant, il est essentiel de garder une vision stratégique. La logistique reste un atout majeur de la France et de régions comme Rhône-Alpes dans la compétition européenne. Naviguer dans ces nouvelles règles fera partie intégrante du métier de dirigeant logistique en 2025 et au-delà.

Vectalog Consulting, en tant qu’expert transport & logistique basé en Rhône-Alpes, se tient aux côtés des TPE, PME et ETI pour les aider à transformer ces contraintes en leviers d’optimisation. Nos experts suivent de près les évolutions législatives et peuvent réaliser pour votre entreprise un diagnostic logistique stratégique gratuit afin d’identifier les impacts potentiels de ces amendements sur vos opérations. Que ce soit pour optimiser l’implantation de vos entrepôts, revoir votre schéma de distribution ou piloter un projet d’agrandissement dans le respect de la réglementation, n’hésitez pas à nous contacter.

➡️ Contactez Vectalog Consulting pour un accompagnement personnalisé face à ces évolutions réglementaires. Ensemble, nous élaborerons des solutions sur mesure pour maintenir la compétitivité logistique de votre entreprise tout en respectant les nouvelles obligations. En anticipant dès aujourd’hui, vous assurerez à votre supply chain de demain d’être à la fois performante et conforme, gage de réussite dans un environnement en mutation.

*[fédérations professionnelles logistique] : Union ou association regroupant les entreprises d’un même secteur pour défendre leurs intérêts communs (ex : Union TLF pour le transport-logistique).
*[amendements logistique 2025] : Modifications proposées en 2025 au projet de loi, visant ici spécifiquement le secteur logistique (entrepôts, e-commerce…).
*[autorisation d’exploitation commerciale] : Autorisation administrative (souvent abrégée AEC) délivrée par la CDAC, requise pour ouvrir certaines grandes surfaces commerciales ou, si la loi est adoptée, certains entrepôts logistiques au-delà d’un seuil de surface.
[simplification économique] : Terme faisant référence au projet de loi « simplification de la vie économique » destiné à faciliter les démarches des entreprises et à lever les freins administratifs à l’économie.

Sources : Union TLF & fédérations – Lettre ouverte au Gouvernement (mai 2025); Assemblée nationale – Amendement CDAC entrepôts e-commerce; Vectalog Consulting – Attractivité logistique de la région AURA.